Après quatre J.E. consacrées au Kitsch (1. Le Kitsch : une affaire de goût ?, 2. Kitsch et Baroque, 3. Kitsch et Antiquité, 4. Kitsch et art contemporain) l’automne 2016 verra la réalisation, à l’UBO, d’un colloque international intitulé Kitsch et idéologies qui sera le point d’orgue des quatre premières années de travail menées par notre groupe interdisciplinaire. Nous croiserons les approches et nous intéresserons à tous les supports : texte et image, littérature, cinéma, théâtre, musique, arts, histoire, sociologie, etc.
Le « Kitsch » est étroitement lié à une culture populaire (roman rose, roman-photo, polar, science-fiction, cinéma populaire, caricature…) considérée comme de mauvais goût par la culture établie. Mais les théoriciens d'inspiration marxiste, qui pensent que le kitsch est une culture de l'aliénation, l'associent à la culture bourgeoise. Ces intellectuels sont-ils victimes d'une idéologie que Milan Kundera (L’insoutenable légèreté de l’être) allait dénoncer ou, plus simplement, de l'élitisme aristocratique de leur image sociale d'intellectuels, comme l'ont montré Pierre Bourdieu, Jean Baudrillard ou Edgar Morin : « |LS|...|RS| si différentes que soient les origines des mépris humanistes, de droite et de gauche, la culture de masse est considérée comme camelote culturelle, toc, ou, comme on dit aux États-Unis : 'kitsch'. » (L’esprit du temps). Le « Kitsch » interroge donc la notion de légitimité et les niveaux de pratique culturelle. Si l'attitude kitsch peut se révéler au cœur des milieux intellectuels comme dans la classe populaire et dans la bourgeoisie, c'est peut-être la notion de médiocrité (certains parlent de toc ou de camelote) qui reste significative du kitsch. Pourtant, Hermann Broch lui-même estime qu'il existe des chefs-d'œuvre du kitsch et, pour d'autres raisons, Jean-Pierre Maurel se demande si toute l'œuvre de Thomas Bernhard, dans son combat obsessionnel contre le kitsch, ne deviendrait pas kitsch elle-même.
Pour Adorno, les seules œuvres révolutionnaires sont produites par l’Avant-garde et restent inaccessibles aux masses. Il estime aussi que l’« industrie culturelle » a remplacé la vraie musique populaire. Dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (1935-1939), Walter Benjamin (bien qu’il n’emploie pas le terme) pose avant l’heure la problématique postmoderne du kitsch, qui se développera à partir des années soixante autour d’Andy Warhol, du Pop art et de la performance. En ce sens, Benjamin est visionnaire puisqu’il met en avant la question de la culture de masse et annonce, d’une certaine façon, les Mythologies de Barthes et La culture du pauvre (The Uses of Literacy, étude magistrale de la culture ouvrière dans l’Angeleterre des années 1950) de Hoggart, deux essais incontournables publiés en 1957. Benjamin voit aussi la place fondamentale du cinéma dans la réalité socio-culturelle du XXe siècle, soulevant les problèmes de l’industrialisation, de la marchandisation de l’art et de l’esthétisation de la marchandise qui vont de pair avec la récupération du cinéma par les idéologies et la propagande. Pour l’Autrichien Hermann Broch (1886-1951), le kitsch rejoint le fascisme tandis que, pour le romancier cubain Reinaldo Arenas (1943-1990) comme pour le Tchèque Kundera, c’est le vernis culturel des dictatures communistes.
En citant Moles – « Le Kitsch a pu être considéré comme une dégénérescence menaçant toute forme d'art |LS|...|RS| ou au contraire comme une forme nouvelle d'art du bonheur » – le Petit Robert évoque la transformation positive et optimiste que le psycho-sociologue a fait subir à la théorie de Broch et cerne ainsi l'ambiguïté idéologique et philosophique du kitsch. Pour Broch, le kitsch rejoint le fascisme tandis que chez Moles, il tend simplement vers la gemütlichkeit, le sentiment de bien-être. Comme le note Christophe Genin, le kitsch ne serait finalement qu’une « manière » d’être, de voir et de se montrer. Dans l'un ou l'autre cas, pour le bon ou pour le pire, le kitsch ment. Le dictionnaire oublie néanmoins de signaler l'une des définitions les plus valides, celle de Kundera : « le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde », « le kitsch est un paravent qui dissimule la mort ».
Certains romanciers, comme l’Argentin Manuel Puig (1932-1990), mettent particulièrement bien en évidence cette culture de la médiocrité vendue par la publicité, qui apparaît à Hollywood vers 1930 et s’épanouit dans les années 1960. C'est peut-être la notion de « médiocrité » qui reste significative du kitsch. Pourtant, Broch estime qu'il existe des chefs- d'œuvre du kitsch comme les opéras de Wagner et Jean-Pierre Maurel se demande si toute l'œuvre de l’Autrichien Thomas Bernhard, dans son combat obsessionnel contre le kitsch, ne deviendrait pas kitsch elle-même. Avec le "DRECK" (= ordure), comme le souligne Marie- Christine Agosto, la littérature américaine pratique l’entre-deux : dénonçant le « dreck » comme signe d'une dégénérescence de la culture ou engendrant de nouvelles énergies à partir du trivial et du dévalué. Par son esthétique du « mauvais goût », le cinéma de Pedro Almodóvar s'apparente – dans la continuité de Fellini – à un phénomène kitsch (vulgarité, transvestisme, artifice et ironie) hautement subversif et Susan Sontag (« Notes on camp », 1969) n'hésiterait probablement pas à classer le réalisateur espagnol dans la catégorie du camp (un kitsch conscient de lui-même, au deuxième degré, souvent associé à l’excentricité et à l’autodérision de la subculture gay). C’est peut-être la même distance ironique que l’on retrouve dans les œuvres de l’Américain Jeff Koons et, plus certainement encore, chez le Japonais Takashi Murakami ou dans les photos des artistes français Pierre et Gilles ou du britannique Martin Parr. Mais qu’en est-il du cinéma de série B (films de vampires, par exemple, ou péplums érotiques et pornographiques) et de ses clichés lorsqu’il est recyclé par certains artistes postmodernes ? La postmodernité, qui apparaît dans les années 1960 et à laquelle nous appartenons pleinement en ce début de XXIe siècle (Jean- François Lyotard, La Condition postmoderne : rapport sur le savoir, 1979 ; Henri Meschonnic, Pour sortir du postmoderne, 2009), est une période propice et florissante en terme de production à la fois de sources premières mais aussi de sources théoriques sur la dialectique entre culture « légitime » ou « dominante » et subculture ou culture « mineure » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, 1972, Kafka, pour une littérature mineure, Minuit, 1975 ; Mille plateaux, Minuit, 1980).
Nous nous pencherons enfin sur le kitsch dans le discours politique, notamment à partir de la notion de storytelling, discours triomphaliste et mensonger des politiciens : « Une tendance apparue dans les années 1980, sous la présidence de Ronald Reagan, lorsque les stories en vinrent à se substituer aux arguments raisonnés et aux statistiques dans les discours officiels. » (Christian Salmon, Storytelling, La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, éditions La Découverte, 2007, p. 18-19)
Nous nous intéresserons donc au kitsch (texte, image, son...) comme esthétique de la « non pensée », instrument de propagande et vernis esthétique des dictatures d'extrême droite ou d'extrême gauche, mais aussi à une autre tendance du kitsch - inventive, imaginative, proliférante, espiègle, positive, vitaliste et subversive - revendiquée par les artistes pour lutter contre le totalitarisme.
Le colloque se tiendra à Brest, du jeudi 3 au samedi 5 novembre 2016. Merci d’adresser, pour le 15 juillet, un message d’intention de participation accompagné d’un titre provisoire à : lionelsouquet@hotmail.com Les propositions définitives (entre 10 et 15 lignes) seront à envoyer au plus tard le 31 août 2016, à la même adresse.