Responsable :
J-C Gardes
La notion de caricature actuelle est née de la conjonction de deux traditions différentes qui ont fini par se rejoindre, à savoir l’art de la caricatura – terme créé au milieu du dix-septième siècle pour définir les portraits chargés réalisés par les Carrache dans un dessein essentiellement ludique – et l’art des images infâmantes et satiriques des feuilles volantes parues dans le cadre des guerres de religion aux 16e et 17e siècles, images qui faisaient confiance au symbolisme pictural plutôt qu’à une transformation artistique. Peuvent être considérés comme éléments constitutifs du genre caricatural :
- Un phénomène de distanciation par rapport à l’objet ou la personne représentée. L’effet de distanciation est souvent réalisé par une altération graphique qui peut revêtir des formes diverses, mais peut être obtenue également par d’autres moyens : parodie, citation, jeu, légende et dessin…
- Le rire ou tout du moins le sourire. Le gain de plaisir procuré d’une part par la reconnaissance de l’objet ou de la personne, d’autre part par le sentiment de supériorité éprouvé par rapport aux phénomènes critiqués a pour objectif de susciter l’adhésion du récepteur.
- Un message. Se référant à des faits politiques ou sociaux, le caricaturiste cherche à délivrer un message, au risque de tomber sinon dans le grotesque.
De cette définition sommaire découlent de nombreuses interrogations quant aux notions de normes et d’écart, tout particulièrement dans le contexte mondial dans lequel s’inscrit aujourd’hui toute production d’images. Les événements tragiques de début janvier 2015 qui ont lourdement frappé la revue Charlie Hebdo sont venus rappeler à quel point ce genre au confluent de diverses disciplines n’est pas sans poser problème.
Il semble nécessaire, dans la continuité des travaux entrepris précédemment et en tenant compte des différents éléments constitutifs de la caricature, d’analyser le plus précisément possible les thèmes suivants :
A quels procédés les caricaturistes recourent-ils prioritairement pour réaliser la distanciation mentionnée ci-dessus ? Il apparaît clairement que les procédés utilisés ne sont pas tous universels et que l’analyse de l’effet de distanciation par rapport au canon de la représentation doit prendre en compte les époques de création et les cultures dans lesquelles les œuvres sont produites. La caricature chinoise, pour prendre un exemple, a peu de points communs sur le plan formel avec la caricature française. Il s’agit donc de s’interroger sur les raisons de ce décalage qui nuit à la bonne compréhension du message de l’autre. Il est essentiel également de tenter de repérer les influences sans doute de plus en plus grandes à l’heure d’Internet, de repérer les réseaux qui se sont créés au fil des décennies et de se demander si les différences observées sont susceptibles de s’estomper.
Le rire est incontestablement un objet culturel qui a parfois de grandes difficultés à passer certaines frontières, même entre des pays voisins, comme l’a déjà si bien observé Baudelaire il y a un siècle et demi. Il s’agit à l’aide d’études comparatives de tenter de cerner les ressorts de l’humour et de la satire et de saisir les implicites culturels et/ou psychologiques permettant de comprendre les décalages observés. Il convient également de réaliser des études diachroniques qui mettent en lumière l’évolution du rire au sein de sociétés données et viennent compléter les études déjà existantes.
En dehors du cadre législatif propre à chaque pays, toute société est régie par un certain nombre de lois tacites, de tabous auxquels il est difficile d’échapper. Il est donc essentiel non seulement de repérer les divergences de législation en matière de censure, mais aussi d’observer les différentes réponses apportées par les artistes aux pressions plus ou moins diffuses exercées par la société. Si certains revendiquent une certaine forme d’auto-censure et prônent des formes de contournement pour passer au travers des interdits, d’autres cherchent incontestablement à briser ces tabous. Les caricaturistes sont-ils prioritairement du côté de ceux qui cherchent à combattre les prescriptions morales ou religieuses ? Dans ce dernier cas, luttent-ils ouvertement ou recourent-ils à des voies détournées ?
Ces tabous diffèrent incontestablement en fonction des époques, des pays et des cultures. Mais ces tabous ou interdits sont-ils uniquement de nature culturelle ou certains peuvent-ils être considérés comme universels ?
Les images circulent aujourd’hui avec une rapidité extrême, les caricatures de Charlie Hebdo sont immédiatement connues dans toutes les parties du monde, qui sont engluées dans des rapports de force politiques qui dépassent largement le contexte satirique. Dans quelle mesure les dessinateurs tiennent-ils compte de la réception future de leurs caricatures et de leur instrumentalisation souvent fanatique, non pas dans leur pays, mais dans des contrées parfois lointaines et fort différentes ? Il semble bien qu’un clivage se soit opéré entre les tenants d’une éthique de conviction et ceux d’une éthique de responsabilité (Max Weber).