La mémoire face à l’Histoire : traces, effacement, réinscription

Mise à jour le   26/10/2022

Responsables :
Anne le Guellec, Camille Manfredi, Michael Rinn

 

En période de crise, de transformation des valeurs comme aujourd’hui, les éclairages portés sur le passé historique par le récit ou la légende sont les enjeux d’une légitimation du présent, et plus encore de l’avenir, que l’on cherche à construire et que l’on espère durable. De la réalité de l’histoire vécue, qui n’est jamais que le matériau de la pensée qui cherche à en comprendre le sens, se dégage toujours un discours construit, recomposé, qui manifeste une « vérité » qui est celle de l’historien, de son temps et de son public.
Une réflexion sur le rapport de force entre la mémoire et l’Histoire pourra donc amener à envisager la mémoire comme expérience d’un vécu particulier, face à l’entreprise intellectuelle d’écriture d’une Histoire plus générale, qui, en mettant en relation et en perspective les vécus singuliers, leur confère certes un sens, mais en les déformant, en les dénaturant peut-être au passage, pour les intégrer dans une vérité collective, qui est celle de tous, mais aussi de personne.
On pourra inversement, entendre par « Histoire » la vérité objective générale, l’ensemble des événements tels qu’ils ont été recensés, et y opposer la construction de mémoires individuelles ou collectives, au sens de récits qui affirment et revendiquent une vérité identitaire. Sans doute ce sont ceux-là même en prenant parfois la forme de l’Histoire générale et objective qui ont davantage vocation à convoquer le discours de la trace, de l’effacement et de la réinscription de ce qui, presque effacé, subsiste et témoigne ; de ce qui s’est effacé ou a été effacé, et de ce qui est ré-exhumé, pour prendre place dans la conscience et dans le discours. Ainsi en est-il de l’histoire des génocides, mais aussi de l’histoire des obscurs, des marginalisés de l’histoire, des vaincus, et aussi des minorités, etc.
Le cas de figure, extrême, d’une possible récupération de la mémoire complètement effacée d’une humanité détruite (génocides, cataclysmes, dénaturations radicales) est aussi à examiner. Cette refondation semble obéir à un principe poétique, voire rhétorique, de l’indicible qui touche à l’universel. Mais l’écart critique qui naît alors dans la société ou à l’intérieur même du discours s’il porte trace d’une conscience intellectuelle, a peut-être comme fonction première de réinterroger ce projet poétique universel comme projet politique. Dès lors, son universalité est alors à remettre en question : sinon celle du débat de restitution du vrai ou du vraisemblable, quand il existe, du moins celle du projet univoque du locuteur-narrateur, qu’il soit individu, groupe, état, organisme de collecte d’informations.
En effet, il faudra voir, dans le principe même de la réinscription, le double phénomène qui fonde la dialectique du Réel et du Vrai, de l’objectif et du subjectif, du fait et de l’intention : à savoir, d’un côté, le discours de la réhabilitation, de l’autre, le discours d’instrumentalisation de cette réhabilitation elle-même. D’un côté, le triomphe de la justice et de la vérité à travers le rappel d’une réalité oubliée, la restitution d’un passé occulté, de l’autre, la volonté de construction d’un avenir qui motive ce discours de mémoire, l’affirmation d’une légitimité qui sert à (re)construire une identité.

 

Projets de recherche

 

 

  • Déconstruction et réécriture de l’histoire dans la littérature américaine (William Faulkner, Nathaniel Hawthorne, Richard Brautigan)
  • « Métafictions historiographiques » (Linda Hutcheon) de Thomas Pynchon et leurs multiples variantes apocryphes de l’Histoire
  • Les femmes "à l’ombre des hommes de pouvoir" (politiques ou religieux) et les Asiatiques-américaines, doublement minoritaires.

Le dix-huitième siècle anglais

 

  • Narration épistolaire d’événements historiques au XVIIIème siècle. Colloque sur les « Manuels épistolaires anglais et français » (début 2012).

 

  • Réinvention et propagation de la "vérité" historique dans le contexte post-dévolutionnaire écossais.

 

  • Traces et commémoration du conflit nord-irlandais dans la société d’après les accords du Vendredi Saint
  • Tension entre réhabilitation du passé et transformations sociétales dans le cinéma irlandais.
  • Révisionnisme dans le champ des études irlandaises
  • Réécriture du Celtic revival et mythification de l’émergence de l’Irlande libre
     
  • La figure de la répétition dans l’écriture de l’histoire chez Wilson Harris et Derek Walcott. Confrontation de leurs visions de l’histoire, et analyse de leur réappropriation de la trace caraïbe Kingdom (Derek Walcott) ; modalités de leur négociation du politique et du sacré.
  • Réappropriation de l’espace historique par les écrivains australiens post-coloniaux, notamment aborigènes, au nom d’une mémoire recomposée.
  • Lent processus de re-création des représentations féminines du passé et du présent dans les films de Jane Campion
     
  • Le mémorialisme anarchiste espagnol

 

  • Le pathos du dernier
  • La mémoire de l’humain anéanti (en collaboration le centre AIRCRIGE – Paris IV -, le Centro di Judaica Goren Goldstein – Milan-, le Centre d’Etudes pluridisciplinaire sur le Génocide – Kil’université d’Etat V. Brioussov – Erevan -, et le CRIST de l’Université de Québec à Montréal.)