Penser la forme sérielle

Mise à jour le   09/11/2022

Responsable :
H. Machinal

 

La volonté d’immersion dans un univers fictif n'a rien de nouveau : les grandes formes littéraires, que ce soit les cycles de mythes, l’épopée, le roman-fleuve de Balzac ou de Dickens, ou le feuilleton radiophonique attestent sa persistance. L’engouement pour des séries télévisées et leurs fictions feuilletonnantes ou semi-feuilletonnantes dans les vingt dernières années, et sa prolifération dans d’autres formes de fiction, n’en serait que la manifestation la plus récente. Penser la forme sérielle, c’est nécessairement comparer ces nouvelles formes à celles qui les ont précédées.
Toutefois, cette prolifération s’accompagne de fragmentation : la sérialité implique non seulement l’importance de la suite, mais le fractionnement de l’ensemble, posant des questions de structure, de rapports hiérarchiques non seulement à l’intérieur de la fiction (comment penser les épisodes individuels face à l’ensemble de la fiction) mais aussi par rapport aux autres formes narratives (qui prônent une clôture à laquelle la série ne prétend pas nécessairement) ?

 

 

Ce rapport est d’autant plus important lorsqu’il s’agit d’adaptations ou d’interprétations d’œuvres préexistantes, qui mettent en avant la spécificité des médias respectifs de l’original et son adaptation. Les rapports  entre « original » et « adaptation » ont déjà été analysés par la critique (Stam, Elliott, Hutcheon...), mais les questions de transferts sémiotiques à l’œuvre lors de l'adaptation d'un texte littéraire à un autre média pourront également constituer l'une des pistes de notre réflexion intermédiatique. Comment passe-t-on d'une bande dessinée à une adaptation filmique (Snowpiercer) ? Quelle influence des formes filmiques sur les séries TV et vice-versa (Penny Dreadful) ? Les passages, transferts, et mutations de ces « fictions transfuges » (St Gelais) induisent-ils une modification du rapport au matériau esthétique ? Des opérations telles l'expansion, la répétition mais aussi la multiplication ou la dispersion instaurent de nouveaux rapports entre créateurs et récepteurs, et un rapport différent à la temporalité. Par ailleurs, la transition d’une forme close à une forme ouverte serait une autre piste de recherche : comment adapter une nouvelle (Justified) ou une épopée (Vikings) dans un format ouvert tel que les séries télévisées ?
L’attrait de la sérialité ne se cantonne pas à la série télévisée ; bien que certains voient en la popularité de l’univers Marvel la sérialisation du cinéma, d’autres y trouvent un rappel de ses origines en bande-dessinée, et la nouvelle popularité des séries radiophoniques (Serial) doit autant à l’histoire des émissions d’antan qu’aux séries télévisées. Mais la complexification engendrée par ces formes sérielles, les références intertextuelles auxquelles elles se livrent, interrogent les frontières  entre culture populaire et culture savante et posent la question de l'émergence d'une nouvelle culture sérielle qui serait peut-être en lien avec la culture de l'image contemporaine (Gervais).

 

Collègues impliqués :
Shannon Wells-Lassagne, Isabelle Le Corff, Gaïd Girard, Thierry Robin, Catherine Conan, Elizabeth Mullen, Hélène Machinal