L’épreuve thermique des manchots pendant la mue

Le
Laboratoire LEMAR
Manchots

Publiée en juin 2024 dans le Journal of Experimental Biology, la nouvelle étude d’Agnès Lewden, post-doctorante au laboratoire des sciences de l’environnement marin (LEMAR) et spécialiste de la thermorégulation des oiseaux, s’intéresse à la régulation de la température pendant la mue des manchots papous de la manchotière d’Océanopolis notamment dans un contexte de changement climatique. Cette étude est le fruit d’une collaboration entre l’UBO, ISblue et Océanopolis.

 

Les 3 points à retenir :

  • Une fois par an, les manchots subissent une mue « catastrophique » remplaçant tous leur plumage durant une intense période de jeûne ;
  • La période de mue constitue aussi un véritable défi thermique pour les manchots ;
  • Le contexte actuel du changement climatique pourrait augmenter les risques de stress thermique chez les manchots.

La mue : un défi thermique pour les manchots

L’objectif de l’étude menée par Agnès Lewden et ses collaborateurs, un étudiant de master et un chercheur de l’Université de Strasbourg (laboratoire IPCH du CNRS), est de comprendre comment les manchots régulent leur température en période de mue pour faire face à la modification de leurs isolation thermique. D’autant plus que dans le contexte actuel de changement climatique et d’augmentation des températures globales, le risque de stress thermique pourrait s’accroitre.

En effet, une fois par an, les manchots remplacent toutes leurs plumes au cours d’une mue « catastrophique ». Les plumes des manchots tombent progressivement au cours de 7 stades de mue différents. Le stade intermédiaire est particulier. A ce moment, les manchots ont deux couches de plumes en même temps, les anciennes qui sont en cours de chute, et les nouvelles qui commencent à émerger. Ce stade, appelé « pop corn » en référence à l’aspect ébouriffés des manchots, représente un véritable défi thermique pour les manchots : qui dit double couche du plume, dit isolation plus importante et donc plus de difficulté à réguler sa température. 

La mue représente donc un double défi pour les manchots. Au-delà du défi thermique, le coût énergétique de la mue est également important. Ils peuvent ainsi perdre jusqu’à la moitié de leur masse.

Comment l’étude sur les manchots a-t-elle été menée ?

L’étude a été réalisée en conditions de captivité, à la fois pour la facilité d’accès, mais aussi pour mener les expérimentations dans un cadre contrôlé et indépendamment des variations environnementales. Au total, 31 manchots papous de la manchotière d’Océanopolis ont participé à l’étude. 

Pendant la période de mue, les manchots sont pris en photo chaque jour avec une caméra thermique. Ces caméras permettent de mesurer la température à la surface du corps en évaluant la chaleur émise. Plusieurs zones sont ainsi mesurées : 

  • Le corps pour suivre la température de l’ancien et du nouveau plumage ;
  • La zone autour des yeux, comme indicateur de la température centrale du corps ;
  • Le bec, les ailerons et les pattes qui sont les zones du corps avec le moins de plumes, et donc les moins isolées.
     
Photo thermique d'un manchot papou pendant la mue

Photo thermique d'un manchot papou pendant la mue ©Agnès Lewden

Des variations de températures selon les zones du corps

Les résultats montrent que la température à la surface de toutes les zones du corps varie pendant la mue. La température autour des yeux augmente et reste élevée dans les premiers temps de la mue avant de diminuer. Au contraire, la température du corps diminue, c’est peut-être dû à une meilleure isolation grâce à la double couche de plume. 

Les températures du bec, des ailerons et des pattes augmentent fortement, allant jusqu’à 5°C de plus pour le bec. Ces trois zones moins isolées agissent ainsi comme des fenêtres thermiques qui permettraient aux manchots de dissiper la chaleur supplémentaire retenue par la double couche de plume.

 

Cette étude a ainsi permis de montrer comment évoluent la température des manchots en période de mue, et les défis auxquels ils font face. Mais ces résultats sont associés à des conditions de captivité. En milieu naturel, il est probable que le défi thermique de la mue, période au cours de laquelle les manchots ont deux couches de plumes, soit encore plus important en raison du rayonnement solaire et de l’augmentation des températures dans le contexte de changement climatique. 

La prochaine étape pour Agnès Lewden et son équipe est d’étudier ces hypothèses sur les populations sauvages de manchots pour évaluer précisément l’impact du changement climatique. Une première collecte de données est d’ailleurs prévues cet automne sur les manchots royaux de l’archipel de Crozet.
 

Les manchots ont-ils trop chaud ? Pas si simple…

Entre novembre 2022 et février 2023, Agnès Lewden a rejoint la station scientifique polaire de Dumont d’Urville afin d’étudier la thermorégulation des manchots. Son travail s’inscrivait dans le cadre du projet scientifique « Les manchots Adélie, bioplateformes de l’environnement marin », soutenu depuis de nombreuses années par l’Institut polaire français (IPEV).

Sa mission ? Comprendre comment les conditions environnementales influencées par les dérèglements climatiques impactent les manchots en fonction de leur stade de vie et du milieu aquatique ou terrestre dans lesquels ils vivent.

Lire le dossier complet pour en savoir plus.