À la croisée entre médecine, biologie marine et chimie, une étude publiée en octobre 2024 dans la revue Marine Drugs explore de nouvelles pistes thérapeutiques pour lutter contre les maladies à prions. Ces travaux réunissent 17 chercheuses, chercheurs, doctorantes, ingénieurs, techniciennes et techniciens, et étudiantes et étudiants, dont 14 issus de 4 laboratoires de recherche (GGB, LEMAR, LBCM et LaTIM) et 2 plateformes technologiques (RMN-RPE et spectrométrie de masse) de l’UBO.
Les 3 points à retenir :
- Impasse thérapeutique : aujourd’hui, il n’existe pas de traitement pour soigner les maladies neurodégénératives causées par des prions ;
- Solution provenant de la nature : cette étude s’intéresse à des molécules issues d’organismes marins : des éponges marines, des algues et des microorganismes ;
- Nouvelles perspectives : les analyses ont montré que certains dérivés de bromotyrosine, des molécules spécifiques au milieu marin, ouvrent la voie à de nouvelles solutions thérapeutiques.
Les prions sont des protéines présentes naturellement dans le système nerveux des humains et des animaux, mais qui peuvent devenir des agents pathogènes responsables de maladies neurodégénératives pour lesquelles il n’existe pas de traitement (voir encadré).
Les caractéristiques particulières des prions les rendent particulièrement difficile à traiter. De nouvelles méthodes sont donc à l’étude pour cibler soit les protéines prions, soit leur mécanisme de propagation dans l’organisme infecté. Des composés naturels ont déjà montré des propriétés anti-prions in vitro, comme des composés présents dans le curcuma, le raisin ou le thé vert, mais leur efficacité n’est pas encore prouvée chez l’humain.
Le milieu marin représente un véritable réservoir de composés chimiques, très variés et différents de ceux connus en milieu terrestre, on parle alors de chimiodiversité marine. Cette ressource en métabolites bioactifs, en constante progression, offre un potentiel important pour le développement de nouveaux traitements.
Le groupe de recherche, composé principalement de personnels de l’UBO, de l’INSERM, de l’IRD, du CNRS et de l’Université de la Polynésie française, s’est particulièrement intéressé à 166 organismes marins tropicaux : 145 invertébrés, dont des éponges de Polynésie française et de Wallis et Futuna, 25 macroalgues de Polynésie française et 3 composés issus de bactérie Pseudoalteromonas, appelé cyclolipopeptides. Après avoir été collectés à la main, les échantillons ont été congelés puis lyophilisés et broyés. Grâce à une extraction par macération avec un mélange de solvants, les biomolécules qui composent les organismes marins ont été isolées puis testées.
Les maladies à prions
Les prions sont des protéines naturellement présentes dans l’organisme des humains et des animaux, en particulier dans les cellules du système nerveux. Parfois, il arrive que les protéines prions subissent un changement de conformation, c’est-à-dire un changement de leur forme 3D. Sous cette forme modifiée, les protéines prions deviennent des agents pathogènes : elles sont capables de transmettre leur forme pathogène aux protéines prion non pathogène et infectent les cellules saines, déclenchant une réaction en chaîne qui provoque une encéphalopathie spongiforme qui s’avère fatale.
Les maladies à prions sont des maladies neurodégénératives rares. Parmi les plus connues, on compte la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l’humain et la maladie de la vache folle chez les animaux. La transmission des maladies à prions entre individus peut se produire par voie génétique ou par exposition à des produits contaminés. C’est pourquoi les maladies à prions sont aussi appelées encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST).
À ce jour, les mécanismes qui conduisent au changement de forme des protéines prions restent encore mal connus, et aucun traitement n'existe pour soigner ces maladies.
En savoir + : De la vache folle à Parkinson et Alzheimer : que sait-on des maladies à prions ?
Pour mener à bien ces tests, les chercheurs ont utilisé la levure de boulanger, Saccharomyces cerevisiae. La levure est souvent le premier modèle utilisé, car elle est facile à cultiver et à manipuler. Ici, l’intérêt de la levure est double puisqu’elle possède des protéines qui se comportent comme des prions. La méthode utilisée est la méthode dite de criblage qui permet de trier les molécules selon leurs propriétés. Ce premier test a ainsi permis d’identifier les échantillons les plus prometteurs, et notamment un extrait issu de l’éponge marine Suberea laboutei de Wallis & Futuna.
L’étape suivante consiste à isoler les uns des autres les composés chimiques contenus dans ces extraits pour identifier ceux qui ont une réelle action anti-prion. Une série de tests a permis de déterminer et d’isoler 6 composés actifs contre les prions, tous étant des dérivés de bromotyrosine, une famille de molécules spécifiques au milieu marin, que l’on retrouve essentiellement au sein des éponges de l’ordre des Verongiida, auquel appartient l’espèce S. laboutei.
Ces 6 molécules : purealidin Q, aplysamine-2, aplysamine-1, aplyzanzine C, psammaplysenes D et anomoain F, ont un intérêt dans la lutte anti-prion.
Ces composés ont montré des capacités pour réduire la propagation des prions. La purealidin Q et l’aplysamine-2 sont également capables de réduire le stress du réticulum endoplasmique, un stress des cellules produit par l’accumulation de protéines mal conformées telles que les protéines prions.
C’est la première fois que l’activité anti-prion et de réduction du stress de ces molécules est décrite, ce qui offre de nouvelles perspectives thérapeutiques. Mais il reste encore de nombreuse étapes à franchir avant d’arriver à un médicament à administrer aux patients, la recherche médicale étant une recherche à long terme.Cette étude ouvre également des perspectives dans le traitement d’autres pathologies, car l'agrégation des protéines et le stress du réticulum endoplasmique sont aussi des caractéristiques de certaines maladies dans lesquelles une protéine devient pathologique, telles que les maladies de Parkinson et d'Alzheimer.
Les éponges marines
Les éponges marines, ou spongiaires, sont des animaux marins invertébrés d’une très grande variété de tailles, formes et couleurs. On dénombre actuellement plus de 9600 espèces réparties sur l’ensemble de la planète, aussi bien dans des environnements tempérés, tropicaux ou polaires, de la surface à plus de 3000 m de profondeur.
Ces organismes figurent parmi les plus anciens du règne animal encore vivants sur Terre. Leur physiologie est relativement simple, ils ne comportent pas d’organes différenciés, ni de système nerveux. Ils vivent fixés sur un support, en association avec toute une communauté de microorganismes.
Les éponges marines jouent un rôle important dans les écosystèmes. En effet, ces animaux suspensivores filtrent de grandes quantités d’eau, se nourrissant des particules organiques et des microorganismes en suspension dans la colonne d’eau, contribuant ainsi au niveau de leur écosystème au recyclage de la matière organique et à la régulation des populations de microorganismes planctoniques. Enfin, les anfractuosités qu’elles comportent sont le refuge idéal pour de nombreux invertébrés (crabes, crevettes, ophiures…).
Depuis une soixantaine d’années, les scientifiques s’intéressent aux substances naturelles marines pour développer de nouvelles solutions thérapeutiques. Avec plus de 12 400 métabolites identifiés au sein des éponges, cet embranchement rassemble à lui seul presque un tiers des molécules d’origine marine connues. Leurs structures et propriétés chimiques originales leur confèrent l’index pharmacologique le plus étendu, suscitant de nombreux espoirs pour le développement de nouvelles thérapies. A l’heure actuelle, deux médicaments anticancéreux et un antiviral sont issus de travaux réalisés sur des éponges.